Jacques
Énaud dit Canada
L'ancêtre de cette lignée est pour le moins un
personnage énigmatique des plus discrets. En effet, on ne retrouve que peu
de traces de celui-ci au travers des registres de l'époque, encore
disponibles aujourd'hui.
Jacques Énaud, soldat du
Régiment de Carignan-Salière, compagnie
de Saurel, sous le pseudonyme de "Pierre Canada", arrive officiellement
en Nouvelle-France le 19 août 1665, à bord du
navire
La Paix. Navire jaugeant 300 tonneaux, sous la gouverne du Capitaine
Étienne Guillon Sieur de Laubertière, il appareille le 13 mai 1665 en
provenance du port de La Rochelle, avec à son bord quatre compagnies du
Régiment de Carignan-Salière, soit : La Colonelle, Contrecoeur, Maximy
et Saurel.
Le navire La Paix est accompagné
de
L'Aigle d'Or, un Vaisseau du Roi, "vieux et décrépit", ayant lui
aussi à son bord, quatre compagnies, soit : Grandfontaine, La Fredière,
La Motte et Salière, lesquelles mettront pied à terre le 18 août 1665, à
Québec. Ces deux navires mirent quatorze semaines à faire le voyage,
plus du double du temps prévu, en raison des réparations continuelles devant être
effectuées à la coque de l'Aigle d'Or, pour lui permettre de naviguer sans couler
tellement il est en piètre état ...! Ils repartent pour la France,
le 19 septembre 1665; toutefois, ironie du sort, seulement L'Aigle d'Or
arrivera à bon port, le navire La Paix ayant fait naufrage près de Matane !
Ses passagers seront recueillis par le Saint-Sébastien qui fait le voyage de retour
le 14 octobre suivant.
Deux jours après leur arrivée, ces huit compagnies
furent mises en revue pour inspection par Monsieur de Tracy, en prévision
de leur départ imminent pour la vallée du Richelieu. Toutefois, le départ
des troupes fut retardé de quelques jours, le clergé catholique ayant
constaté la présence de plusieurs Huguenots parmi eux. Ils durent se
plier aux exigences de Monseigneur de Laval, qui à cette époque, occupait
le deuxième poste le plus important au Conseil Souverain, donc l'influence
politique de l'église était telle qu'il était impossible de passer outre
aux standards établis par celle-ci, pour qui que ce soit qui mettait pied
en sol canadien ! Les soldats Huguenots furent rapidement "catéchisés" et
durent abjurés publiquement leur religion et faire profession de foi
catholique, pour satisfaire aux exigences du clergé, avant leur
départ de Québec; quant aux officiers, tel le Capitaine Alexandre
Berthier, ils eurent le privilège de faire le tout en privé, les autorités
ayant jugé qu'il n'était pas politiquement correct de rendre publique le
fait que le commandement des troupes avait été confié à des Huguenots par
sa Majesté le Roi ...!
Cinq jours plus tard, Monseigneur de Laval et le
Marquis de Tracy soulignèrent l'évènement par un immense feu de joie, fait
assez ironique étant donné que quelques heurs plus tôt, Tracy avait
ordonné à la population de Québec, de fournir huit cent cordes de
bois pour les troupes qui devaient y passer l'hiver ...! Finalement,
le 25 août 1665, au lendemain de ce feu de joie, soit une semaine après
leur arrivée, Tracy ordonna au Capitaine Pierre de Saurel, de procéder
avec sa compagnie en direction de l'embouchure du Richelieu, afin d'y
reconstruire le Fort Richelieu, lequel avait été détruit par les Iroquois
en 1646. Et ainsi débute les tribulations en Nouvelle-France, de
notre ancêtre, Jacques Énaud dit Canada, et de ses compagnons de la
compagnie de Saurel. Plusieurs livres ont été écrits sur le sujet, pour
ceux qui désirent connaître les évènements et les allées et venues des
troupes de 1665 à 1667.
À la suite du licenciement des troupes du Régiment de
Carignan-Salière à l'été de 1667, notre ancêtre choisit de demeurer sur nos rives.
Tout comme les autres soldats de la compagnie de Saurel, il s'établit tout d'abord sur la Seigneurie du Sieur Pierre de Saurel.
Quelques années plus tard, nous le retrouvons installer définitivement dans la Seigneurie de Villemur,
propriété du Sieur de Berthier, où il décéda le 2 décembre 1690.
Avant même le licenciement des troupes, Pierre
de Saurel, avec l'aide des soldats de sa compagnie s'occupaient à défricher
les terres entourant le fort de Richelieu, dont il avait la garde.
Après une longue attente, soit le 29 octobre 1672, le Roi lui accorde enfin un
domaine de deux lieues et demie de terre de front, situé de chaque côté de
la rivière Richelieu, sur deux lieues de profondeur, qui comprend le fort
de Richelieu ainsi que les terres avoisinantes sur lesquelles lui et ses soldats
sont déjà établis. Cette concession devint la Seigneurie de Saurel
qui donna naissance à la ville de Sorel, bien connue aujourd'hui.
Tel que le note l'Abbé A. Couillard Després, de la Société Royale du
Canada, dans son Histoire de Sorel de ses origines à nos jours, publié en
1926, ces soldats "sont devenus les premiers sorelois au nombre de
trente-trois; selon une liste officielle, ce sont: le sieur Randin, enseigne, le sergent La Fleur, les
soldats Champagne, Le Breton, La Pointe, Lafranchise, Dufresne, La France,
Grancé, La Violette, Canada, La Fontaine, La Taille, Poitevin, St-André,
St-Martin, La Rose, Lavigne, Labonté, L'Espérance, Jean Dominique, Trempe
la Crouste, Saluart, Chaudillon, Labarre, du Vemis, La Chesnaye, St-Armand,
La Porte, La Jeunesse, La Liberté,
le Breton et Olivier."
Au nombre de
ces trente-trois pionniers se retrouve donc "Canada" que l'auteur, pour une
raison inconnue, a identifié comme étant Pierre
Énaud dit Canada.
Il n'est pas le seul; d'autres auteurs, dont l'illustre Drouin ainsi que
l'Abbé Florian Aubin, ont commis
la même erreur.
Par le fait même celle-ci en crée une autre; celle d'identifier Pierre Énaud (fils de Jacques) comme étant le soldat de
Carignan-Salière connu
sous le nom de soldat "Pierre Canada". C'est chose impossible
puisque Pierre Énaud est né après le départ des troupes de la
Nouvelle-France. De plus, nous n'avons
retrouvé aucune mention de Jacques Énaud sous un patronyme autre que
celui-ci. Tous les documents
consultés le cite comme Jacques Énaud dit Canada, époux de Marie Leroux.
Il est fort probable que l'erreur provienne de l'usage de son nom de
soldat, soit "Pierre Canada". Quoi qu'il en soit, il s'agit bien ici
d'un seul et même homme.
Vers 1668 à St-Pierre de Sorel, Jacques Énaud épousa Marie Leroux,
fille du Roi originaire de Rouen, en Normandie. Aucune trace de ce
mariage dans les registres de St-Pierre de Sorel car ceux-ci sont
incomplets pour cette période.
Au recensement de 1681 à Sorel, Jacques Énaud et son
épouse Marie Leroux n'apparaissent pas comme habitants de la seigneurie de Saurel. Toutefois quelques évènements
documentés nous confirme leur existence et leur présence dans la région de
Sorel.
Un des rares évènements où l'ancêtre fait acte de
présence nous confirme son existence en Nouvelle-France, soit le 25 janvier 1683, dans un jugement de Gilles Boyvinet, Lieutenant-Général des Trois-Rivières,
"condamnant Jacques Eneau dit Canada à payer au plaintif, Jean
Olivier, sept minots de blé".
Le 20 juillet 1684, Pierre Valet dit
La France, soldat du Régiment de Carignan et compagnon d'armes de Jacques
Énaud, habitant de la seigneurie de Saurel, fait don de tous ses biens "
à Pierre Hénaud, fils de
Jacques Hénaud et de Marie Le Roux sa femme, père et mère dudit Hénaud son
filleul demeurant en la seigneurie du Sieur Berthier, escuyer" (voir
minutier du Notaire Claude Maugue". Cet acte nous confirme qu'à
cette date, la famille Énaud habitait effectivement la seigneurie de
Villemur, propriété du Sieur Berthier. De plus, il y est stipulé par
Pierre Valet dit Lafrance que "outre la dite donation a donné
pouvoir audit Hénaud père de ce agir et avoir soin de ses affaires et de
tous ses biens et de faire et agir pour luy en tout ce qui concernera
ledit donateur jusqu'à ce que la dite donation ayt lieu, déclarant le dit
donateur qu'il se prépare à partir pour aller en guerre".
Comme on peut le constater, les documents notariés
sont une petite mine d'or d'informations, que plus d'un chercheur néglige,
car leur lecture est parfois très difficile, voir parfois quasi
impossible. Soit dit en passant, avec un peu d'application et de pratique,
et avec l'aide de livres sur la paléographie, on y arrive tant bien que
mal. Si vous êtes membre d'une société de généalogie, leurs
bénévoles se feront un plaisir de vous aider à y voir plus clair.
Si Jacques Énaud est un personnage des plus
discrets, il en est tout autrement de son épouse. La lecture des
registres nous permet de penser qu'elle aimait bien la vie sociale du
bourg de Sorel et de ses environs. Nous notons sa présence dans divers
évènements, dont plusieurs baptêmes et contrats de mariage. Qu'elle y soit
invitée dénote en soi une certaine marque de respect et d'appréciation. Heureusement d'ailleurs,
puisqu'ils nous permettent de mieux situer ce couple dans leur milieu,
tout en confirmant leur existence et leur état matrimonial.
Le 23
octobre 1673, le notaire Jean Baptiste Adhémar, dans sa maison de Sorel,
rédige le contrat de mariage de Vincent Moriceau, habitant d'Autray et de
Marie Anne Beaumont, demeurant à Sorel; on y note la présence
de "Marie Leroux épouse de Jacques Énaud-dit-Canada, en compagnie de
messieurs Pierre Salvaye de Tremont, Pierre Vallet et Joseph Lamy". À St-Pierre de Sorel le 4 octobre 1675, " Marie Le Roux femme de Canada" est
citée comme marraine au baptême de Marie Jeanne Marcel, et 2 ans plus tard
soit le 22 janvier 1677, marraine à nouveau, cette fois de Jean Marcel,
elle est citée comme "Marie Lereau femme de Jacque Hénau".
Du mariage de Jacques Énaud et Marie Leroux ne survit
qu'un seul fils, Pierre, né vers 1669 à Sorel. Son acte de naissance étant
manquant, nous avons confirmation, par l'acte de donation de Pierre Valet
en date du 20 juillet 1684, de l'existence de ce fils et du fait que
Pierre Valet en était le parrain.
Le 3 février 1688 à St-Pierre de Sorel, Jacques eut la
joie d'assister au mariage de son unique fils, Pierre, à Marie Anne Ratel,
fille aînée de Pierre Ratel dit Dragon, originaire de St-Herbland, diocèse
de Rouen en Normandie, et de Marie Lemaire son épouse, originaire de
Romorantin, diocèse de Berry en Orléanais. De ce mariage naquirent 9
enfants, soit 3 garçons et 6 filles, dont il sera question à la prochaine
génération.
Les faits et gestes de l'ancêtre Jacques Énaud dit
Canada sont si peu connus que si ce n'était des quelques actes mentionnés
précédemment, on pourrait même douter de son existence. Il termina sa vie à
Berthier, où il décéda le 2 décembre 1690, âgé d'environ 45 ans.
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